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Plaidoyer

De la nécessité et de l’opportunité d’un soutien politique et économique au développement national des séjours de répit partagé

Mesdames et Messieurs les décideurs publics, acteurs économiques et associatifs, nationaux ou locaux,

Préambule

Selon l’Insee, la France comptera plus de 10 millions de personnes âgées de plus de 75 ans avant 2040.
Pour celles entrées en situation de dépendance, mais aussi pour ceux d’entre nous porteurs d’une maladie ou d’un handicap, le maintien à domicile, aussi longtemps que les conditions le permettent, constitue non seulement le moyen le plus adapté et le moins onéreux de prise en charge, mais s’avère appelé des vœux de l’écrasante majorité de nos concitoyens : 9 Français sur 10 s’expriment en ce sens ! Et des réponses innovantes et bienvenues essaiment en écho à ce plébiscite, à l’image de l’essor des EHPAD dits « hors les murs » ou des solutions de répit quotidien souvent portées par le dynamisme de notre tissu associatif.
Plus encore après les récents scandales qui émaillèrent la chronique, l’AFDPSR se félicite de ce signe des temps, du souffle de liberté, d’autodétermination et d’autonomie qu’il porte et du renforcement des solidarités intrafamiliales.
Mais cette réponse salutaire à l’évolution de nos conditions et aspirations de vie a sa contrepartie : celle de transférer aux proches les efforts de soin et d’accompagnement tout au long de la journée, tout au long de l’année.
Notre plaidoyer s’appliquera à démontrer que, d’une part, proposer aux binômes aidant/aidé un accès financièrement abordable à des séjours de répit partagé constituerait l’unique réponse pertinente à une question de santé publique et, d’autre part, que ces offres pourraient être économiquement viables si elles procédaient d’un développement ambitieux, à l’échelle nationale. Nous inscrirons cette présentation dans le cadre juridique existant, qui permettrait d’agir dès maintenant, et à l’aune des engagements pris par l’Exécutif ces dernières années, dont aidants et aidés attendent encore qu’ils soient suivis d’effets.

La situation des aidants : une question de santé publique encore peu prise en compte

Le Baromètre des aidants 2022 (Fondation APRIL/BVA) montre combien le rôle d’aidant et les difficultés qu’il comporte se situent au carrefour de considérations de santé mises en lumière ces dernières décennies. Psychologie et sociologie se sont appliquées à dévoiler la notion de charge mentale ménagère, qui a longtemps constitué un impensé de nos rapports sociaux : or, un tiers des aidants, rôle majoritairement (60%) tenu par des femmes, n’a même jamais entendu parler de son statut. Sans mot ni concept pour penser sa situation, comment en prévenir les conséquences ? Et elles sont nombreuses : le même Baromètre nous apprenait dès 2018 que 31 % des aidants délaissaient leur propre santé et que 22% avaient dû reporter des soins les concernant. Par ailleurs, devant les douleurs physiques (30%), les deux conséquences de santé dont souffrent le plus couramment les aidants sont des risques psychosociaux (RPS). Il s’agit du stress (38%) et de la perturbation du sommeil (32%), signes courants d’impacts plus profonds mais larvés, donc complexes à déceler comme à quantifier en termes d’impact économique global. Avec plus de 20% d’aidants en France et tandis que 57% de la population se prépare à endosser ce rôle un jour, les coûts directs et indirects d’une mauvaise prise en charge de cette question par les pouvoirs publics sont donc considérables.
D’où il convient d’agir à deux niveaux : celui du quotidien, en proposant des solutions de répit de proximité et connues des aidants, mais aussi en aménageant la possibilité de périodes de répit prolongé. Les luttes pour les « vacances ouvrières » et le droit aux vacances pour tous qui ont pavé le XXe siècle sont maintenant lestées du consensus des études scientifiques : tout concoure à souligner le caractère essentiel de ruptures franches avec le quotidien – en termes d’espace et de temps, mais aussi de pratiques, en brisant le cercle des habitudes – pour l’équilibre psychique des individus, a fortiori lorsqu’il s’agit de publics fragiles.

Les séjours de répit partagé : une réponse innovante et essentielle

Or, les solutions d’hébergement temporaire sont peu utilisées pour créer les conditions de possibilité d’un départ en vacances de l’aidant. Comme le souligne l’IGAS dans son rapport Soutenir les aidants en levant les freins au développement de solutions de répit (2022), « le premier frein à la demande d’accueil temporaire est d’ordre psychologique » car « le fait de devoir confier son proche […] suscite des craintes, voire une culpabilité », et le second est « d’ordre financier ». Quant à l’aidé, il perçoit souvent un tel séjour comme l’antichambre d’un placement plus définitif. Alors, pour ne pas tout bonnement se priver de vacances, ne reste plus au binôme aidant/aidé qu’à partir ensemble dans un établissement hospitalier ordinaire, sans pouvoir alléger leur relation du rapport de soin et d’accompagnement qui fait leur quotidien.
Fort de ces constats, l’AFDPSR défend le développement à l’échelle nationale, à horizon 2025, de 1200 places de séjours de répit partagé au sein de centres de tourisme intégrant une structure médicosociale en leur sein, afin de reproduire la prise en charge de l’hébergement temporaire sur le lieu de vacances. Pour assurer leur accès aux populations qui en ont le plus besoin, il faudra que le forfait soin de ces séjours, comme il est de règle pour l’hébergement temporaire en EHPAD ou ESMS, soit supporté par l’Assurance maladie.

Seules de telles structures seraient en mesure de :

  • Lever les sentiments d’inquiétude et de culpabilité inhérents à une séparation de l’aidant et de l’aidé ;
  • Sécuriser la prise en charge de l’aidé et donner l’opportunité à l’aidant de penser à nouveau à lui ;
  • Renforcer les liens du binôme aidant/aidé en déchargeant leur relation de sa part de soin et d’accompagnement?;
  • Proposer des temps et activités séparés, mais aussi en commun, se forger de nouveaux souvenirs et ramener avec soi, peut-être, de nouvelles passions à pratiquer au quotidien.

Un cadre juridique déjà existant et des annonces non encore réalisées

De 2015 à 2023, des annonces politiques et actes juridiques ont permis de croire que ces structures si nécessaires à l’équilibre de nos aidants et aidés obtiendraient les réquisits leur permettant de fonctionner efficacement. Voyez plutôt :
Leur nature hybride imposait leur inscription dans le paysage administratif, ce qui fut fait à travers l’article 65 de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (2015) qui, en plus de reconnaître ces établissements dans le Code de l’action sociale et des familles, a exclu les places qui leur seraient destinées des Schémas régionaux d’organisation médicosociale (SROMS).
Le 23 octobre 2019 ensuite, la Stratégie de mobilisation et de soutien en faveur des aidants 2020-2022 a été lancée conjointement par Edouard Philippe, Agnès Buzyn et Sophie Cluzel, alors respectivement Premier ministre, ministre de la Santé et secrétaire d’État chargée des personnes handicapées. Parmi de nombreuses mesures, ce plan ambitieux comportait la création de 10?000 places d’hébergements temporaires pour un budget de 105 millions d’euros.
À sa suite, une circulaire conjointe de la CNSA et de la DGCS du 5 juin 2020 a confirmé la création possible de structures touristiques et médicosociales au travers de l’affectation d’une part de ces 10000 nouvelles places, et a invité les ARS à leur remonter les projets identifiés sur leurs territoires.
Le 6 octobre 2022 enfin, à l’occasion de la Journée nationale des aidants, le Gouvernement a annoncé la reconduction de sa Stratégie nationale 2020-2022 à partir de 2023.
Il semblerait donc que tous les feux fussent au vert, au point que plus de vingt porteurs de projet se soient mis en ordre de marche pour ouvrir des centres de répit. Pourtant, rien ne s’est encore concrétisé : pourquoi ?

Il faut nous laisser passer à l’action !

La crise sanitaire a mis un frein à toutes les ambitions – et c’est bien compréhensible. Mais les conditions favorables à l’action peuvent de nouveau être réunies et ces temps difficiles ont rappelé l’importance de l’accompagnement et du soutien aux populations dépendantes. Il est donc l’heure de passer à l’action.
Par ailleurs, la puissance publique défend que la viabilité économique de notre modèle d’établissement ne serait pas démontrée, non plus que sa capacité à garantir une fréquentation suffisante au cours de l’année.
À ces réserves, l’AFDPSR répond en plusieurs points :
La vingtaine de porteurs de projets ambitionnant d’ouvrir des centres de répit partagé ont établi un business model qu’ils considèrent avec un réel niveau de confiance. Celui-ci établit leur dimensionnement optimal à 60 places médicosociales (30 PA / 30 PH) et, en regard, au moins le même nombre de places dédiées à l’accueil des aidants. Ainsi, sur la base d’un taux d’activité annuel de 75%, estimation satisfaisante pour de telles structures, ces établissements accueilleraient en moyenne 90 personnes tout au long de l’année. Or, aucun établissement de cette envergure n’existe pour le moment.
Dans une étude réalisée en septembre 2019, France Active a confirmé la robustesse de ces estimations, les plans d’affaires montrant une capacité du modèle à s’équilibrer à l’issue d’une période de montée en charge d’une à trois années. Toutefois, les hypothèses théoriques qui sous-tendent cette projection ne pourront être confirmées qu’à la suite d’une période de fonctionnement minimal. Faisons simple : sans centre actif et justement proportionné, aucune de nos encourageantes perspectives ne pourra être définitivement démontrée. Il faut donc passer des intentions à la concrétisation, et ce, à un niveau national.
Car c’est à cette échelle, et à cette échelle seulement que nous en appelons afin de porter 10 à 20 projets d’établissements susceptibles d’être opérationnels dans les 5 ans à venir en leur affectant, comme le recommandaient la CNSA et la DGCS d’une même voix, une part des places d’hébergement temporaire prévues dans la Stratégie nationale. C’est à cette échelle que nos aidants et aidés se verront offrir une réelle offre de vacances dans des endroits divers; à cette échelle aussi que la « rationalisation » et la « mutualisation des coûts » que l’étude Wavestone (Banque des Territoires/Caisse des dépôts, 2022) pointe comme facteurs clés de succès pourront être mises en œuvre, ceci notamment à travers une plateforme d’écoute et d’accompagnement aux formalités administratives et à la réservation; c’est à cette échelle encore que s’inscriraient les nécessaires efforts de communication et de publicité qui permettront un taux d’occupation suffisant; c’est à cette échelle enfin que nous commencerions à répondre aux besoins puisque, comme le signifiait déjà une étude portée par le GRATH en 2009 (Besoins des personnes âgées dépendantes et de leurs proches aidants en matière de relais), pas moins de 25% des millions d’aidants PA se déclarent intéressés par le modèle des séjours de répit !
Nous parlons donc d’un marché potentiel où tout reste à construire, que les intéressés attendent et que les porteurs de projets souhaitent investir, mais qu’un contexte et, sans doute, un manque d’ambition politique n’a pas encore permis de développer. Plutôt que l’aborder à l’aune de ses seuls freins potentiels, à l’échelle locale et sur le court terme, il conviendrait de lui rendre la dimension et l’ambition que nos concitoyens méritent.

Conclusion

Contexte, manifestations des initiatives individuelles et des compétences, volontés de mutualisation, mobilisation d’une franchise sociale, cadre légal et déclaration de principe du politique : Mesdames et Messieurs les décideurs publics, acteurs économiques et associatifs, nationaux ou locaux, toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour concrétiser cet important projet que nous portons collectivement et qui répond aux considérations les plus actuelles de l’évolution de notre société. Si la présente note vous a permis de mieux l’appréhender, nul doute que vous saurez user de votre influence et de vos relations pour relayer nos ambitions.
Afin de créer 1200 places de séjours de répit partagé à horizon 2025, au sein de 5 à 10 établissements, et davantage encore à horizon 2030, l’AFDPSR et ses partenaires appellent à affecter aux projets naissants les places nécessaires d’hébergement temporaire de la Stratégie nationale de soutien aux aidants; par ailleurs, il conviendra de clarifier auprès des ARS que lesdits projets s’imputeront sur une enveloppe nationale, ne pénalisant donc pas leurs moyens d’agir sur leurs territoires.
Le véritable répit ne saurait se satisfaire de moins, et nos aidants et aidés le valent bien.